J’ai vu Émilia Pérez en salle hier soir, après tout le monde et sans rien savoir du film, de son histoire, de son contexte. Je me souvenais seulement que « ça chantait ». J’avais dû savoir un peu au moment de Cannes, et j’avais tout oublié (le cinéma de Jacques Audiard ne m’intéresse pas, et il y a beaucoup de trous dans la manière que j’ai de suivre l’actu ciné).
[il y aura des spoilers, dans mon texte. Je préviens celles et ceux qui n’ont pas vu le film et souhaitent le découvrir prochainement.]
Alors, peut-être était-ce mon humeur, ma disponibilité : j’ai vraiment aimé le film. Je l’ai aimé comme un film de genre queer et féministe. Et puis j’ai trouvé intéressant d’aborder frontalement la question de la transidentité. (N’ayant rien lu avant de voir le film, j’ignorais que la comédienne était elle-même trans, et d’ailleurs ça n’a pas d’importance pour moi.)
Un film de genre et une comédie musicale sur l’argent, sur la corruption, sur l’existence, sur le destin qu’on peut changer ou pas, sur le passé qui vous rattrape. Il y a un empilement de thèmes, et j’ai marché. J’aime les films excessifs, parfois, et ce sont aussi les excès du film qui m’ont plu.
Après, j’ai lu des critiques. Je fais ça après avoir vu les films, jamais avant (mon obsession de ne rien savoir des films, quand j’y parviens). La critique de Libé est bien, je trouve.
Par hasard, je suis tombé sur le podcast des critiques de Médiapart (15′), que je n’écoute pas souvent. C’est l’avis le plus critique que j’ai trouvé, et il m’a interpelé. Parce que ces avis partagés parlent du sujet, du traitement de la transidentité par le film. Et je crois qu’ils ont raison.
Ce film, écrit et réalisé par un vieux type hétéro cis (ce que je suis aussi) rate sans doute son sujet. Peut-être n’est-ce pas la question posée par le film. C’est-à-dire que ce n’est pas pour autant que le film est à jeter. Le mélo existentialiste est là, et on peut l’aimer. Et que l’auteur soit vieux hétéro et cis, je m’en fous, ce n’est pas la question. Mais qu’il rate le traitement de la transidentité, pour un film qui aborde le thème de matière frontale pour une des premières fois dans un film mainstream, c’est un problème, et c’est gênant.
Je répète les arguments découverts dans ce podcast, que je n’avais peu eu l’idée de formuler ainsi. Il y a des clichés et des choses fausses, d’abord. Après sa transition, l’odieux narco se transforme en une madone philanthrope qui cherche une rédemption. Cliché ! La transition est décrite comme comprise par la magie du bistouri, ignorant la complexité du processus. Cliché !
Et puis il y a la séquence importante qui est peut-être la plus gênante. Quand Émilia découvre le projet de son ex-femme de partir et d’emmener les enfants, elle est désespérée. Sa colère est terrible, et elle agresse violemment Jessi. Mais ce n’est pas la colère d’Émilia, c’est celle de Manitas. Émilia redevient Manitas pendant cette scène, avec toute sa violence et elle retrouve même sa voix. La scène est dérangeante, elle est faite pour ça, mais ça va au delà. C’est un moment fort du film, d’une certaine manière c’est une jouissance d’horreur pour le spectateur. C’est Dr Jekyll et Mr Hyde, et comme spectateur on aime le personnage de Jekyll-Hyde.
Pourquoi est-ce tellement gênant ? c’est que la transidentité, ce n’est pas du Jekyll-Hyde. La transition n’est pas un masque qui pourra se fissurer à la moindre occasion. Ça serait plutôt le contraire, si elle correspond à un désir profond et à une évidence. La place de ce retour de Manitas, comme un Mr Hyde ou comme un Hulk qui serait tapi, caché, c’est une anomalie. C’est par ça peut-être que la film échoue très profondément dans son traitement du sujet de la transidentité.
[#]EmiliaPerez #cinema
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@FoucPerotin j'ai beaucoup aimé Emilia Pérez et après écouté et lu plusieurs critiques, j'ai déjà entendu cet argument du "ce n'est pas une représentation correcte de la transidentité" et j'avoue que je n'y souscris pas parce je ne crois pas qu'il existe une seule et unique représentation de la transidentité.
Audiard propose une histoire avec une femme trans. Rien dans le film ne laisse penser que cette histoire est celle de l'ensemble des femmes trans. Ce n'est pas bon plus un plaidoyer sur la transidentité et j'oserai même dire que la transition d'Emilia Pérez n'est pas nécessairement le sujet principal du film.
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