c’est ici que les choses se font se défont se fondent se confondent
c’est ici que s’emmêlent le chaud et le froid et la faim et la terre
ici le jour demande grâce aux interminables ténèbres
ici tout se passe comme prévu mais rien ne va jusqu’au matin
je vis encore regarde mes doigts bougent
j’ai une ombre une voix un filet de sang frais qui ne s’arrête pas
je vis parce que je n’ai pas appris à mourir
je vis pour que mes doigts bougent pour que mon ombre ait une voix
qui sait à quoi j’ai survécu
alors moi je n’en sais rien quelqu’un le sait moi je l’ai oublié
mais qui le sait qui se couche en travers du chemin en barricade
pour que le frais filet de la mémoire ne m’atteigne jamais
donc ce n’est pas ici que je meurs ce n’est pas encore ici
que mes jours sont comptés et d’ailleurs qui les compte
qui compte sur mes jours pour désenténébrer le monde
pour que tout se démêle et que plus jamais rien ne tombe
c’est un grand pouvoir qu’on me prête et je te le dis c’est un leurre
ce qui s’égrène entre mes doigts qui bougent ce ne sont que des mots
et le pouvoir des mots n’est pas de cet ordre-là
ils arrivent après la bataille et pleuvent comme autant de larmes
sur les vivants et sur les morts sur les cohortes affamées
ils aident à ne pas mourir ou à ne mourir qu’apaisé
mais jamais je te le dis jamais ils ne décident
ce ne sont pas les mots qui feront reculer la nuit
10 novembre 2023
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